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Le petit joueur de tambour, ambassadeur de l’art déco?

  • Olivier
  • 12 nov.
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 3 jours

Joueur de tambour de style wayang, première moitié du XXe siècle, 27 cm, collection personnelle
Joueur de tambour de style wayang, première moitié du XXe siècle, 27 cm, collection personnelle

Avec les danseuses, les femmes ou les hommes assis dans une posture de la vie quotidienne, les joueurs de tambour comptent parmi les figures souvent reproduites dans les années 1930 et 1940. Il est facile de comprendre pourquoi. La base commune à toutes ces figures de musicien est simple: les jambes placées en tailleur sont à peine suggérées dans la partie basse par un travail en bas-relief assez schématique, tandis que le tambour, en forme de cylindre ou de cône tronqué, ne présente pas de difficulté particulière, le sculpteur pouvant se concentrer sur les bras, le torse, la tête et l’udeng (la coiffe), éléments dont la position demeure souvent identique d’une version à l’autre. Bien sûr, comme toujours dans la sculpture balinaise moderne, la qualité peut varier sensiblement entre deux versions, et si une pièce se distingue, ce sera par la qualité du bois ou par le degré d’élaboration dans la réalisation de détails comme les mains, les pieds, le visage ou le vêtement.


Comme bon nombre de figures similaires, celle-ci a été produite à partir d’un modèle proposé sur catalogue à des acheteurs étrangers, notamment américains, qui pouvaient ainsi s’offrir une sculpture balinaise sans quitter leur pays. Sous la base, on peut lire "Bali NEI – SSS – 355/10". Ce qui signifie que la sculpture date de la période coloniale des Indes orientales néerlandaises, en anglais Netherlands East Indies (NEI), qu’elle a été vendue par l’intermédiaire de la société new-yorkaise Sajjan Singh Sarna (SSS) et qu’elle correspond au modèle n°355 dans le catalogue, dans une version de 10 pouces (25,4 cm) de haut.


Le traitement est typique du style apparu à Bali dans les années 1930. Que certains aient pu considérer ce style comme inspiré de l’art déco occidental n’a à vrai dire rien d’étonnant. Il suffit de comparer les caractéristiques de cette figure de joueur de tambour avec celles d’une création authentiquement art déco, comme la danseuse de Maurice Pico qui orne depuis 1926 la façade des Folies Bergère à Paris, pour relever d'évidentes similitudes. Si les courbes dynamiques de la danseuse parisienne contrastent avec la pose anguleuse du musicien balinais, on observe ici et là une même priorité donnée aux jeux de lignes dans l’ornementation, un même registre de formes à la fois simplifiées et géométrisées, des doigts effilés, un nez long et des yeux en amande.


Danseuse de la façade des Folies Bergère par Maurice Pico, 1926, Paris, image sous licence Creative Commons
Danseuse de la façade des Folies Bergère par Maurice Pico, 1926, Paris, image sous licence Creative Commons

Certains spécialistes estiment aujourd'hui que dans le cas des sculptures balinaises, ces traits sont, en réalité, principalement dérivés des marionnettes du théâtre d’ombre traditionnel (ou wayang kulit). C'est pourquoi il conviendrait de parler de style "wayang", plutôt que de style "art déco" à leur sujet. Il n'en reste pas moins que, les Balinais ayant, dès le début du XXe siècle, vu passer des visiteurs, des objets et des images de tous horizons, les sculpteurs de cette période ont fort bien pu avoir connaissance de créations art déco occidentales et, ainsi, s’approprier consciemment certains éléments issus de ce style. C’est en tout cas ce que pourraient suggérer les motifs floraux fortement stylisés figurant sur l’udeng et sur le bandeau ornemental entourant l’instrument de ce joueur de tambour, qui présentent une étonnante similitude avec certains modèles de fleurs dessinés par des créateurs occidentaux contemporains. Par exemple ceux de cette draperie créée par André Mare vers 1919 et conservée au Metropolitan Museum of Art, à New-York.


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Enfin, une autre caractéristique contribue à singulariser cette pièce: elle a conservé, attaché au bout d’une ficelle nouée au bras gauche, le petit keris avec lequel elle était livrée à l’origine. Une fente située dans le dos, dans le haut de la tunique entre les omoplates, permet d’y glisser la pointe du fourreau, reproduisant ainsi le port traditionnel de cet objet. Or si beaucoup de ces figures de musiciens présentent une fente de ce type, le keris est généralement perdu. En tout cas, je n'en ai jusqu’à présent vu aucune autre qui l’ait conservé comme celle-ci.


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